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  • Emmanuelle Coratti

Claire, 29 ans, HEC, Paysanne




Elle s’appelle Claire. A 29 ans, elle semble avoir déjà eu plusieurs vies. Une voix douce et joyeuse lorsque je décroche le téléphone. Son retour à la terre, c’était il y a un an. Une évidence partagée avec son conjoint, qui a grandi à la campagne. Un projet qui a un nom : la ferme de Peuton (http://fermedepeuton.com/). Elle partage avec nous son projet, ses rêves, ses doutes, ses difficultés, ses choix, sa vision du monde paysan, le tout en plein contexte « covid »…


Nous lançons notre association Back To Earth, qui veut rassembler chercheurs, agriculteurs, associations, entrepreneurs, financeurs, media, artistes autou du retour à la terre, que t’inspire le projet ? :


«ça me parle… Je ressens en ce moment, qu’il y a beaucoup de questionnements. Autour de nous, nos amis proches, nos connaissances nous appellent, interpelés par notre choix, inspirés. Ils se posent les questions. Comment faire ? Par où commencer ? Proposer un cadre pourrait être quelque chose de rassurant pour ceux qui s’interrogent. Cela me semble aussi vraiment intéressant de rapprocher des mondes différents, qui habituellement ne se rencontrent pas ou peu. Cela permettrait de catalyser les choses. »


Mais au fait, qu’est-ce qui a bien pu t’amener Claire, après un diplôme d’HEC à revenir à la terre ?


« J’ai grandi en périphérie de ville. C’est mon conjoint, ingénieur, rencontré lors de ma dernière année d’étude, qui a grandi dans une ferme. Jeunes diplômés, nous nous sommes installés à Aix en Provence. J’ai démarré en entreprise comme ingénieur d’affaires, dans une société de conseil en ingénierie. C’était un job très stimulant intellectuellement, mais qui ne nourrissait pas mon être, qui manquait de sens profond . Je me suis alors questionnée et recentrée sur mes aspirations profondes : la santé, le bien-être, le yoga. Je me suis ainsi tournée vers la naturopathie à laquelle je me suis formée pendant 3 ans, et en parallèle j’ai suivi une formation de 2 ans pour être prof de yoga. Ces formations permettent un vrai retour sur soi, une introspection qui m’ont permis de conscientiser mes valeurs et besoins profonds J’ai commencé à m’autoriser à rêver d’un projet global, plus holistique.Le rêve d’avoir un lieu à la campagne pour accueillir des retraites de bien-être. Où je pourrais faire du maraîchage, de la permaculture…»


Un rêve devenu réalité !


« Ce rêve s’est concrétisé, plus rapidement que prévu car les parents de mon conjoint ne voulaient pas passer leur retraite à la ferme. Ils nous ont proposé de nous y installer pour lancer notre projet. Après un long temps d’échange avec eux, nous sommes partis 8 mois en voyage, afin de mûrir notre décision, et profiter de la vie de nomade avant notre sédentarisation. Nous sommes rentrés en mars 2019, et installés à la ferme depuis novembre 2019. Tout s’est enchaîné rapidement, nous avons lancé les plantations de légumes en janvier 2020 et avons accueilli notre première retraite de yoga en février. Malgré des moments de doutes ce projet est pour nous une évidence, cette sensation si délicieuse de faire ce qui est juste, d’être à notre place.


Quelles difficultés rencontrées avez-vous rencontrées ?

« La première difficulté a d’abord été de bien définir le projet et de ne pas partir dans tous les sens. Nous avions mille envies, faire venir des entreprises, donner des cours de yoga, accueillir des stages de yoga, faire du maraîchage, il y avait un milliard de possibilités et le risque majeur était celui de la dispersion. Il a donc fallu, faire des choix.

La deuxième difficulté, est d’acquérir les connaissances techniques sur le maraîchage, car la nature est d’une complexité incroyable. Nous venions tous deux du monde de l’entreprise. Avec nos formations d’HEC et d’ingénieurs, nous avions une vraie capacité à monter des projets. Ce qui est un vrai plus. Mais nous n’étions pas du tout formés au maraîchage. Nous avons commencé par quelques woofings* pour acquérir les bases, mais nous n’avions pas envie de passer un an ou deux ans à faire une formation approfondie. Nous avons entamé les démarches pour faire un Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole, afin d’avoir la capacité agricole pour pouvoir recevoir les aides à l’installation (DJA = Dotation Jeunes Agriculteurs). C’est une aide régionale, qui permet aux jeunes de moins de 40 ans ayant un diplôme agricole de recevoir entre entre 10 et 30 000€ par personne pour monter leur projet Il y a beaucoup de contraintes pour l’obtenir. Cela demande de formaliser le projet, de faire un business plan, d’avoir un diplôme agricole. Mais ça permet aussi de faire un vrai point sur le projet, ses conditions. Les 10 semaines de stages obligatoires, et les 10 jours de formation à la chambre d’agriculture, nous ont permis de commencer à tisser notre réseau. Nous devrions obtenir notre diplôme en octobre prochain et nous installer avec les aides en 2021.


D’autres clés de succès pour un retour à la terre réussi ?


« Le tissu social ! C’est capital. Nous avons la chance d’être sur une ferme sur laquelle le père et le frère de mon conjoint ont une activité de production de lait BIO. Il nous ont loué un hectare pour le maraîchage. Leur présence est d’un grand soutien, au niveau du matériel, des coups de mains pour des gros chantiers, de leur expérience et connaissances techniques. . Dans la campagne par chez nous, cette entraide est très présente : partage de matériel, des idées, transmission de connaissances, échange sur les nouveautés.


Avez-vous été bien accueillis ?


Oui, c’était certes facile car mon conjoint a grandi ici. De mon côté j’ai toute suite commencé à proposer des cours de yoga, ce qui aide à s’insérer dans le tissu local.. Mais au-delà de ça, le retour de jeunes dans les campagnes est vu positivement, est générateur d’enthousiasme. Nous recevons beaucoup d’encouragement et de propositions d’aides autour de notre projet. Par simple bouche à oreille nous avons déjà une 20 aine de personnes qui se sont engagées pour venir acheter nos paniers de légumes à la ferme tout au long de l’année.

Si tu débarques dans une campagne où tu ne connais personne, il me semble indispensable d’ être avenant , ouvert, de participer à la vie locale pour s’inclure dans le tissu social.


Comment vis-tu le rythme du métier d’agriculteur ? C’est un job ultra-prenant non ? En tout cas c’est l’idée reçue qu’on en a ! Comment as-tu appréhendé cela ?


C’est très intéressant comme question car un des piliers du projet était vraiment d’avoir une vie plus à notre rythme. Ca a été un point de vigilance dès le début, mais cela a été d’autant plus difficile que nous avons beaucoup d’activités différentes. De novembre à février cela a été très chargé! Il a fallu redonner un coup de neuf à la maison, lancer les cours de yoga, monter les serres, commencer le maraîchage, faire nos formations,….J’ai pu faire un break hors de la ferme de 3 semaines de vacances à Noël puis de 1 semaine en février pour partir du lieu. C’est un travail important à faire de définir la quantité de travail que tu veux faire afin de garder du plaisir et ne pas se faire dépasser par le projet.


Autre rapport au temps ? Autre rapport à l’argent ? Idem, on a l’idée reçue qu’un agriculteur ne gagne pas bien sa vie. Tu as du faire des compromis ?


C’est complexe ! Être agriculteur, tout dépend de quoi on parle. On pense qu’agriculteur c’est un métier mais ça recouvre des tonnes de réalités et de pratiques différentes. Tout dépend de ce que tu fais ! On a souvent l’idée que les maraîchers ne gagnent pas beaucoup d’argent. C’est à la fois vrai et faux. Des jeunes qui font des études et ont travaillé en entreprises et qui font un retour à la terre ramènent avec eux des techniques de gestion, d’organisation qui leur permettent d’innover et d’optimiser certaines pratiques agricoles. Mais oui le rapport à l’argent est complètement à repenser, on rebat toutes les cartes. C’est un mode de vie…. Re découvrir le bonheur de la simplicité, être conscient de ce qui nous rend heureux, se recentrer sur l’essentiel : on re définit de façon beaucoup plus juste nos besoins. Certains maraîchers se paient 2000 euros par mois, ce qui est un bon salaire. La majorité sont satisfaits d’arriver au SMIC.

Chacun doit inventer son propre modèle, en fonction de ses besoins et aspirations. J’ai gagné beaucoup plus d’argent qu’aujourd’hui mais je n’ai renoncé à rien car j’ai fait mon choix en conscience. »


« En conscience », cela veut dire qu’il y a une dimension de développement personnel voire de spiritualité dans ta démarche ?


« Pour moi la spiritualité est intrinsèque à la vie. L’Humain (ou au moins l’humaine que je suis) est habité par des questions existentielles. La vie humaine n’est tellement rien, une étincelle dans l’espace et le temps. Et à la fois tellement tout, tellement précieuse. C’est avec cette conscience que j’essaie d’agir du mieux que je le peux au quotidien, en cultivant la gratitude et l’humilité à laquelle nous ramène indéniablement la nature. De mon expérience, un retour à la terre, ne peut se passer d’un vrai retour sur soi, un travail sur ses valeurs, envies, besoins, peurs. Peur d’être exclu, de ne plus avoir de repères, de manquer d’argent… Donc oui, c’est aussi une démarche de développement personnel.

De plus je suis convaincue que pour prendre soin de l’extérieur, que ce soit de l’environnement ou de l’autre, il est nécessaire de commencer par prendre soin de soi. Ainsi une démarche d’écologie intérieure me semble indispensable à mettre en place dans un projet écologique. »


Nous nous parlons en plein contexte d’épidémie de coronavirus ? Qu’est-ce que cela a eu comme impact ?


« Un vrai ralentissement déjà, et cela nous a apporté du calme et de la sérénité après l’effervescence. Beaucoup plus de liberté et de conscience. Et surtout le sentiment d’être au bon endroit. Nous avions déjà la volonté d’être le plus autonomes possibles et avons été confortés dans nos choix ! Par exemple, nous avions nous même récolté certaines graines pour préparer nos plants afin d’être autonomes. Nous voulons un modèle le plus adaptable et résilient possible.

Nous avons accueilli des amis pour le confinement, ce qui renforcé notre volonté de développer la dimension collective du projet. Nous avons de l’espace dans la maison, en extérieur, des terres,…. Nous voudrions accueillir des woofeurs, des porteurs de projets, des artistes,…. Encore une fois il y a mille choses à faire ! »


On oppose souvent « paysans » et « exploitants agricoles », cela a-il un sens pour toi ?


« C’est vrai que pour beaucoup d’agriculteurs quand tu parles de « paysan », cela a quelque chose de dégradant, alors qu’à l’inverse aujourd’hui on recommence à le revendiquer, notamment les jeunes qui, comme nous reviennent à la terre, et trouvent un sens noble à la paysannerie. La Confédération Paysanne par exemple œuvre en ce sens.

L’exploitation agricole est un autre modèle, mais il me semble dangereux d’opposer les deux. Chacun a beaucoup à apporter à l’autre, les deux se servent. L’apport du père de mon conjoint qui est exploitant agricole (producteur de lait bio avec près de 120 hectares) a été décisif dans notre projet « paysan » sur notre petit hectare. Il n’œuvre pas à la même échelle et son projet d’agroforesterie a un impact significatif. Son aide a été déterminante dans le lancement de notre projet.»


Merci Claire pour l’inspiration que suscite ton témoignage !! Envie d’en savoir plus sur la ferme de Peuton, son maraîchage, ses retraites, et ses stages de yoga ? Envie d’échanger avec Claire autour des questions de retour à la terre ? Découvrez les images inspirantes de la ferme de Peuton !

http://fermedepeuton.com/

et un portrait vidéo à venir sur www.backtoearth.fr

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