Quel a été votre parcours à chacun ?
Matthias :
J’ai été sensibilisé à l’écologie et aux causes sociales très jeune. J’ai beaucoup voyagé et ça m’a permis de voir le monde différemment, à travers des expériences différentes en Asie, en Amérique et en Afrique. Ça m’a permis de me rendre compte de ce que j’avais envie de faire, c’est-à-dire travailler pour la transition de notre pays, de notre monde.
J’ai eu la chance de voir Pierre Rabhi en conférence, au début de mes études en économie sociale et solidaire et humanitaire. En sortant de cette conférence, je me suis dit “je veux être paysan”, parce que c’est comme ça qu’on peut changer la société. J’avais l’intuition que c’était une bonne manière de faire.
La permaculture m’a beaucoup intéressé. Je suis d’abord parti dans une ferme au Mexique pour apprendre et pratiquer. Puis j’ai fait un service civique dans le Permalab d’Ostara (association qui promeut la permaculture urbaine à Lyon). J’ai continué à voyager en allant voir la ferme de Vandana Shiva en Inde pour apprendre sur les méthodes de conservation de graines anciennes. A mon retour, j’ai repris mes études avec un master de développement agricole et politique économique à Paris Sorbonne.
Toutes ces années, je réfléchissais à ce que j’avais envie de créer dans ma vie. Tout ce qui était éco-lieux et permaculture me parlait énormément. J’ai donc continué à me former sur ces sujets. J’ai fait deux CCP (Cours Certifiés en Permaculture d’une dizaine de jours de formation). J’ai aussi donné des cycles de conférences. Et enfin un BPREA (Brevet Professionnel option Responsable d’Exploitation Agricole) au CFPH Écully, spécialisé en maraîchage bio. Désormais, j’ai l’opportunité d' aller m’installer dans un éco-lieux dans le Tarn (Le papillon et la tortue) pour aider au développement alimentaire à travers tout un accompagnement en permaculture. Ce serait mes premiers clients en tant que micro-entrepreneur dont le but est d’accompagner, former et faire de la gestion de projets en permaculture. J’avais besoin de passer par le concret et en même temps, je suis content de conserver la carte “développement, conseiller, accompagnateur, formateur” qui pour moi est clé dans cette transition.
Wladek :
J’ai 68 ans. Avec Thérèse, on s’est installé dans un premier temps dans la Drôme en 1978, dans le cadre du retour à la terre des années 70, dans l’optique de changer le monde, mais “en s’y mettant”. On a fait une petite ferme caprine sur le canton de Saillans. C’est rigolo, à l'époque la Drôme n’était pas encore ce qu’elle est aujourd’hui. Elle était en train de commencer à le devenir.
On a développé cette exploitation, on a fait tout ce qu’il fallait. On a fait ça 10 ans, c’était une ferme où il y avait tout à reprendre, beaucoup de boulot, on a relevé la tête, ça tenait ! Mais il y avait toujours ce côté collectif qui n’était pas présent et du coup on s’est rapproché d’une autre famille voisine dans la Drôme et on a réfléchi à une association. On a donc créé un GAEC, cherché une exploitation pour accueillir le GAEC. On n’a pas trouvé dans la Drôme mais on a trouvé au nord du Rhône en haute vallée de l’Azergues. Nous étions 5 associés en chèvres, vaches laitières, transformation des laits et commercialisation. On l’a quitté à la 60aine, quand c’était le moment. On avait construit le GAEC pour pouvoir se retirer. Voilà !
Depuis que faites-vous ?
Nos deux installations nous ont donné une très très bonne connaissance du milieu rural, de la manière de s’y adapter et des attentes à la fois du monde extérieur et des gens de l’intérieur. Ainsi, depuis que j’ai quitté l’exploitation, je suis, comme va l'être Matthias, entrepreneur, je fais de l’ingénierie territoriale. Je suis notamment le relais territorial pour le projet Beaujolais Vert Votre Avenir (politique d’accueil Massif Central). C’est comme ça que j’ai entre autres rencontré Matthias. Je suis aussi très engagé dans une asso, Solidarité Paysans, qui accompagne des agriculteurs en difficulté. J’ai cette espèce de double mission, ces engagements sont forts, passionnants et à ma surprise, complémentaires !
Pourquoi avoir rejoint le parrainage agriculteurs / jeunes urbains de Back To Earth ?
Matthias : Moi j’ai vécu toute ma vie dans des grandes villes et ça fait des années que je veux m’installer à la campagne et vivre autrement. Il y a beaucoup de défis selon moi et notamment l'insertion dans le paysage social. Je me suis donc dit que ça pouvait être pertinent d’avoir des échanges par rapport à ces enjeux et Wladek est une personne qui m’a donné et me donne toujours des conseils supers intéressants, donc c’est très enrichissant pour moi !
Wladek : Ce qui est intéressant pour moi c’est que c’est une approche toute autre que l’agricolo-agricole. Matthias ou Emmanuelle [présidente de Back To Earth] , ce sont des personnes qui viennent d’ailleurs et du coup c’est intéressant d’avoir d’autres approches. On n’a pas encore eu le temps mais quand on le fera, l’idée c’est de rapprocher cette vision de l’approche plus rurale et agricole.
Partagez-vous les mêmes pratiques agricoles ? Pratiquiez-vous la permaculture avec le GAEC par exemple Wladek ?
Wladek : ça n'existait pas à l’époque mais on a toujours été sensible à l’agroécologie. La démarche de Matthias fait écho à ce que j’étais quand j’ai démarré mais avec une approche très différente, à travers ses voyages, etc.
Matthias : c’est vrai que le parcours est différent mais les valeurs pour moi sont les mêmes !
Des conseils aux autres binômes parrains/marraines et filleuls ?
Wladek : ce qui peut être intéressant c’est peut-être l’approche qu’on a eue et comment on a travaillé ensemble : on a eu de premiers échanges par mail puis on s’est rencontré tous les deux autour d’un repas, puis on s’est rencontré une deuxième fois sur un weekend pour à la fois échanger mais aussi circuler sur le territoire et aller au devant de gens à rencontrer et d’expériences qui peuvent être enrichissantes.
Matthias : C’est beaucoup mieux de voir la personne pour échanger. Ce weekend en particulier était super. Ça m’a permis de faire évoluer mon idée d’éco-lieux. Le fait d’aller voir d’autres personnes, de rencontrer des fermes, des porteurs de projet, de bouger sur le territoire, c'est génial !
Constatez-vous une montée en puissance des reconversions ? Quelles sont les tendances et dynamiques que vous observez ?
Wladek : sur le territoire et dans les accompagnements qu’on fait, on voit une montée en puissance avec un ÉNORME problème d’accès au foncier qu’on ressent un peu partout. Il y a un gros enjeu de transmission dans les années à venir. Il y a de vrais freins à lever, des partenariats à construire, des peurs à faire tomber et des synergies à trouver. Nous on y travaille au niveau du territoire mais c’est difficile à mettre en route. Il y a beaucoup de projets qui sont sur de petites structures, des micro fermes et c’est difficile de trouver ces petites surfaces. C’est comme ça qu’on voit apparaître des installations collectives : il y a un sacré enjeu sur les installations en collectif ! Le frein principal c’est le collectif sur le moyen/long termes. Les enjeux de production se règlent.
Un autre enjeu qui fait écho à ce que tu as évoqué Matthias, c’est, pour les porteurs de projets, de se faire de l'expérience, se frotter au réel et d’aller au devant de ce métier de paysan, de l’embrasser jusqu’au plus profond, quitte à vérifier si quand on l’embrasse un peu trop on l’aime toujours. Et du coup il y a un effet induit : le territoire qui voit quelqu’un qui embrasse le métier de bon cœur l’accueil de bon cœur !
Matthias : Selon moi, quand on arrive sur un nouveau territoire, on se doit de tendre la main et il faut s’attendre à ce qu’en face ils mettent du temps à ouvrir la leur. C’est pour ça que j’aime beaucoup les éco-lieux : on peut accueillir, rassembler autour d’événements festifs et montrer ce qui est fait. Wladek : J’ajouterais sur cette humilité que dans les territoires ruraux il faut surtout montrer, pas parler. Montrer et faire. Le monde rural, il a surtout besoin de voir et de regarder comment tu fais, voir si ça marche. Il y a de vrais enjeux à mieux se connaître et à s'apprivoiser. Ça je crois que c’est très puissant chez nous [en France], on reste en silos. Il y a un entre soi qui est assez fort et peut-être que c’est un frein au bien vivre ensemble et à faire tomber les peurs. Je crois que l’entrée intéressante là dessus, c’est les territoires. Les élus peuvent faire le lien entre les différentes parties, en les aidant à sortir de ces silos et permettre la transversalité.
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